Musée virtuel du Canada
Jardin botanique de Montréal 
Centre d’étude de la forêt

Transcription du clip vidéo Mon arbre Carlos

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Photo d'Emmanuel Bilodeau, qui lit un conte

© Jardin botanique de Montréal
Emmanuel Bilodeau lit un conte d'Étienne Lepage.

Bon, j'vais vous lire un conte de Étienne Lepage, qui s'appelle « Mon arbre Carlos ».

Ce qu'il faut savoir avant tout, c'est que les arbres parlent.

Okay, les arbres parlent comme vous et moi, avec des hésitations, des « euh » et des « Heille, m'a t'en conter une bonne », puis tout ça...

Ils ont aussi des personnalités. Il y en a qui sont bourrus, il y en a qui ne changent jamais d'idée, y'a des bavards qui disent toujours la même affaire.
Enfin, tout le monde sait ça.

Mais, ce que les gens savent moins, c'est que les arbres, ils bougent aussi. Ils bougent! Ils peuvent courir, faire du jogging le matin, prendre une petite marche digestive, et cætera.

Évidemment, ça choque le sens commun d'entendre ça, parce que, les gens disent : « Si on voit un arbre toujours à une place, ben on va le revoir quarante ans plus tard à la même place. »
C'est sûr, c'est vrai...

Mais, ce n'est pas parce qu'ils ne bougent jamais qu'ils ne le peuvent pas. C'est simplement que les arbres en général sont des êtres très très particuliers.

Ils ne s'intéressent pas vraiment, par exemple, au football américain, aux rabais chez Provigo et tout ça. Ils ont tendance à laisser le monde suivre son cours.

Même les événements graves. Ils préfèrent les regarder passivement, comme des penseurs mettons, et de les subir plutôt que d'agir.

C'est vrai. Ça c'est très bien décrit dans les revues scientifiques.

Fait que moi, que j'adore prouver aux autres qu'on peut faire ce que les autres pensent qu'on ne peut pas faire juste pour le plaisir de le faire... J'étais bien décidé à trouver une raison qui ferait bouger un arbre.

Je me disais également que, si il se décidait, l'arbre à bouger, ce serait certainement pour une bonne cause et que ça m'aiderait à bouger mon cul, moi aussi.

Photo d'Emmanuel Bilodeau, qui lit un conte

© Jardin botanique de Montréal
J'étais donc, dis-je, avec Carlos...

J'étais donc, dis-je, avec Carlos, qui est un arbre particulièrement bavard et je lui parlais de la situation de la planète.

Je lui expliquais, à Carlos, que le bonheur humain en général aurait été plus élevé si les Canadiens avaient fait les séries.
Je lui expliquais aussi en quoi les problématiques reliées à la pollution le concernaient directement.

Je lui parlais de meurtre, de Kraft Dinner, de viol, de dessert sans sucre, de réchauffement de la planète, de Spiderman III, de cancer, de politique...
Mais, y'avait rien à faire.

Il regardait au loin en soupirant, en ayant l'air de penser des pensées d'arbre et en haussant ses épaules d'arbre.

Puis, il se disait : « Qu'est-ce que ça peut faire, Emmanuel? De toute façon, un jour la Terre va disparaître. »

Moi là, devant son inaction, je me suis fâché et puis je lui ai dit : « Comment, comment tu peux ne pas bouger? C'est ton monde que tu laisses pourrir! Et tu restes là, à endurer les coups en silence sans rien dire.

Tu restes là, au milieu du jardin et pendant que le reste du monde coule en flammes au milieu du lac Leman...
Toi, tu restes là puis tu fais de l'ombre aux fleurs.

C'est là que je l'ai vu... Je l'ai vu... frémir. Je ne sais pas si c'était la harangue sur les enfants prostitués qui l'avait soudainement touché. Ou bien si c'était le drame des ours polaires, ou bien le dernier film de Disney que je lui ai conté.

Toujours est-il que j'ai vu, lentement, très lentement, chacune de ses branches se pencher sur le côté. Pis, j'ai vu mon Carlos, au prix d'un effort sur-arboricole, retirer ses racines du sol. Vraiment, là!

Il tira d'abord sur sa plus grosse, puis chacune de ses ramifications, dans une espèce de tortillement d'enfer, s'extirpa de son corridor de terre où elle était logée et nourrie depuis sa tendre enfance.

Puis, il entreprit... de sortir un autre pied, puis un troisième. J'étais assez ébahi de voir mon Carlos, debout devant moi, sur ses trois pieds, l'air assez gauche. Et lui, tout fier de me voir bouche bée, souriait de toutes ses feuilles.

Mais aussitôt libéré, il replongea ses racines dans le sol. Elles allèrent, comme des vers, se creuser des millions de nouvelles niches et Carlos fut de nouveau niché là, plus solide encore qu'avant.

« Mais que s'est-il passé? », lui demandai-je. « T'avais l'air si décidé, pourquoi t'être à peine déplacé de trois pieds sur le côté? »

« T'avais raison », me répondit-il...
« Je faisais de l'ombre aux fleurs. »


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